dimanche 14 janvier 2018

David B.

David B. arrive de Géorgie. Il a quitté son pays et est venu en France demander l'asile. Il se tient avec Soslan, Vanda et un autre monsieur dont j'ai oublié le nom. Il serait l'oncle de Soslan. Je dis "serait", car, comme la plupart des demandeurs d'asile que je rencontre à Alter-Egaux, je ne suis jamais sûre qu'ils disent la vérité. Difficile empathie, confiance, à l'égard de gens qui ne parlent pas ma langue, ne sont pas de mon pays. L'altérité. Les étranges comme on dit au Québec. Aujourd'hui c'est moi l'étrange.
Pourtant, pourquoi viendraient-ils ici? Pour manger le pain des Français? Je peux vous dire pourtant que pendant les années où j'ai cotoyé D., il n'a eu qu'une vie entre parenthèses, une sous-vie. Je peux te dire que, quelque soit le récit que me faisaient ces gens, parfois peut-être ajustés dans le but de plaire à l'OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides), de rentrer dans les cases (réfugié politique est plus légitime que réfugié économique), il y avait des visages qui en disaient long, d'une extrême gravité ou d'une extrême lassitude. Il y avait ce monsieur algérien qui par trois fois, envoya une enveloppe vide à l'OFPRA, peut-être trop de choses dans la tête pour réussir à envoyer ce maudit dossier...
D. venait d'arriver de Géorgie. Lui et sa famille m'ont fait le récit que j'ai écrit pour l'OFPRA, grâce à Soslan, jeune homme de seize-dix-huit ans qui faisait office d'interprète pour sa famille. Même si la télévision parlait des événements en Géorgie, leur récit n'était pas assez convaincant, faut-il croire, ou leur profil pas assez séduisant, surtout celui de D., homme fatigué, maigrichon dans la cinquantaine, non francophone de surcroît. À leurs débuts, ils nous ont invités à manger, moi et Ameth, un soir. Modeste souper qui devait représenter beaucoup pour eux, accompagné de vodka comme au pays. Ameth et moi mangions du bout des lèvres, comme si on nous avait offert des doubitchous dans Le Père Noël est une ordure, encore un film qui présente des préjugés néfastes sur les migrants. Plusieurs décennies plus tard, je viens de tomber sur le film 7 jours pas plus, avec Benoit Poelvoorde, qui colporte encore des préjugés dégueulasses sur les migrants... (Le Père Noël est une ordure avait au moins le mérite d'être drôle)
Aujourd'hui c'est moi l'étrange mais la moins étrange des étranges au Québec... La maudite française peut-être mais sans plus, je bénéficie de préjugés favorables parce que je parle français, que je suis blanche et non musulmane...
Quelques mois plus tard, Soslan faisait des affaires sur la place de la République, des affaires louches, certes, mais qu'aurait-il pu faire d'autre? Les demandeurs d'asile n'avaient (en tous cas à l'époque) pas le droit de travailler. Juste le droit de toucher les aides, assez maigres, qui malgré tout pouvaient servir pour aider la famille là-bas. Et, aberration, les demandeurs d'asile allaient chercher leur aide à l'Assedic, là où les chômeurs allaient chercher leurs prestations. Les "bons français" voyaient alors de longues files d'immigrants et s'imaginaient peut-être (ou peut-être pas d'ailleurs...) qu'ils venaient en France juste pour toucher les aides, sans savoir qu'ils n'avaient pas le droit de travailler.
Quelques années après, j'ai revu David. Il me dit qu'il sortait de prison. Je n'ai pas voulu savoir pourquoi et de toutes façons son français était encore limité. On est simplement allés prendre un café.

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