jeudi 13 juin 2019

Textes lus à l'anniversaire d'Accès conditions de vie


David B. (j’ai été bénévole auprès de demandeurs d’asile 3 ans en France)

David B. arrive de Géorgie. Il a quitté son pays et est venu en France demander l'asile. Il se tient avec Soslan, Vanda et un autre monsieur dont j'ai oublié le nom. Il serait l'oncle de Soslan. Je dis "serait", car, comme la plupart des demandeurs d'asile que je rencontre à Alter-Egaux, je ne suis jamais sûre qu'ils disent la vérité. Difficile empathie, confiance, à l'égard de gens qui ne parlent pas ma langue, ne sont pas de mon pays. L'altérité. Les étranges comme on dit au Québec. Aujourd'hui c'est moi l'étrange.
Pourtant, pourquoi viendraient-ils ici? Pour manger le pain des Français? Je peux vous dire pourtant que pendant les années où j'ai cotoyé David, il n'a eu qu'une vie entre parenthèses, une sous-vie. Je peux te dire que, quelque soit le récit que me faisaient ces gens, parfois peut-être ajustés dans le but de plaire à l'OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides), de rentrer dans les cases (réfugié politique est plus légitime que réfugié économique), il y avait des visages qui en disaient long, d'une extrême gravité ou d'une extrême lassitude. Il y avait ce monsieur algérien qui par trois fois, envoya une enveloppe vide à l'OFPRA, peut-être trop de choses dans la tête pour réussir à envoyer ce maudit dossier...
David venait d'arriver de Géorgie. Lui et sa famille m'ont fait le récit que j'ai écrit pour l'OFPRA, grâce à Soslan, jeune homme de seize-dix-huit ans qui faisait office d'interprète pour sa famille. Même si la télévision parlait des événements en Géorgie, leur récit n'était pas assez convaincant, faut-il croire, ou leur profil pas assez séduisant, surtout celui de David, homme fatigué, maigrichon dans la cinquantaine, non francophone de surcroît. À leurs débuts, ils nous ont invités à manger, moi et Ameth, un soir. Modeste souper qui devait représenter beaucoup pour eux, accompagné de vodka comme au pays. Ameth et moi mangions du bout des lèvres, comme si on nous avait offert des doubitchous dans Le Père Noël est une ordure.
Aujourd'hui c'est moi l'étrange mais la moins étrange des étranges au Québec... La maudite française peut-être mais sans plus, je bénéficie de préjugés favorables parce que je parle français, que je suis blanche et non musulmane...
Quelques mois plus tard, Soslan faisait des affaires sur la place de la République, des affaires louches, certes, mais qu'aurait-il pu faire d'autre? Les demandeurs d'asile n'avaient (en tous cas à l'époque) pas le droit de travailler. Juste le droit de toucher les aides, assez maigres, qui malgré tout pouvaient servir pour aider la famille là-bas. Et, aberration, les demandeurs d'asile allaient chercher leur aide à l'Assedic, là où les chômeurs allaient chercher leurs prestations. Les "bons français" voyaient alors de longues files d'immigrants et s'imaginaient peut-être (ou peut-être pas d'ailleurs...) qu'ils venaient en France juste pour toucher les aides, sans savoir qu'ils n'avaient pas le droit de travailler.
Quelques années après, j'ai revu David. Il me dit qu'il sortait de prison. Je n'ai pas voulu savoir pourquoi et de toutes façons son français était encore limité. On est simplement allés prendre un café.

  

Solitude

Dans un article du journal du café, Jean parlait de la solitude « subie » et de la « solitude « choisie ». J’aime la solitude choisie, quand les enfants sont chez leur père une fin de semaine et que je choisis de rester chez moi tranquillou avec un bon bouquin.
Mais la solitude subie est souvent présente. En France, ma famille (oncles et tantes, enfants, petits-enfants) compte une cinquantaine de personnes, très unies, et bien que j’ai 3 merveilleux enfants, ma grande famille me manque souvent.

Ici, ça prend du temps. Après 9 ans, j’ai un bon réseau mais je parle volontiers de ce sujet, la solitude, parce que je sais que ça touche d’autres gens que moi, que ça en tue certains. J’aurais pu y passer moi aussi. Mais j’ai trouvé la force, des gens qui m’ont tendu la main, la volonté de voir des intervenants au bon moment. Mais autant que d’intervenants, on a tous besoin d’entourage. C’est ce qu’on trouve au café l’Accès.

Étant timide de nature, je ne suis pas très bonne pour socialiser, ni pour demander de l’aide. Mais le fait d’être immigrante a forgé mon caractère, m’a donné envie d’aller vers les autres. J’ai en ce moment une équipe de travail merveilleuse, les gens du café, qui sont définitivement une grande famille, quelques amis, le Collectif des femmes immigrantes, mon équipe des Caf’arts… Et j’arrive de plus en plus à transformer la solitude subie en solitude choisie, ou à être capable d’aller vers les autres quand j’ai envie d’être entourée. D’être là pour les gens qui en ont besoin. Parce que quand quelqu’un va mal, il a pas toujours envie que tu le renvoies vers un intervenant, il a aussi besoin de vrais rapports humains. C’est ce que je trouve au café l’Accès.