Voici des textes que j'aime toujours autant car ils me rappellent qui j'étais à cette époque, comme un journal intime... Comme peut-être avec ma personne, ça me prend toujours quelques années avant d'aimer mes textes, je les regarde après avec bienveillance. Il y avait d'autres textes mais j'ai sélectionné mes préférés.
Mais laissez-moi vous raconter cette histoire, instant magique, où la réalité rattrape toujours la fiction. J'avais soumis certaines de ces textes pour un concours de poésie de la bibliothèque de Laval (France). Puis j'avais accouché de mon premier enfant et le concours m'était totalement sorti de l'esprit. Un jour, j'entre dans la bibliothèque, mon bébé sur le ventre en porte-bébé. Je vois qu'il y a une activité dans la salle d'animation et j'entre pour voir ce que c'est. Là, Olivier, le directeur de la bibliothèque, que j'allais côtoyer par la suite, dit "et maintenant le deuxième prix : Elsa Moulin". Bref, j'appris par la suite que nous n'étions qu'une dizaine de candidats, pas grande gloire à avoir gagné, mais ce qui me parut extraordinaire fut d'arriver pile pour lire mon texte!
Etau d’âme
Les oies sauvages
fanfaronnent par-dessus les toits tels des caïmans aériens.
Nous fûmes là où le soleil
descendait entre l'île des sylphides et l'aire du troisième ours.
Les oursons mangent avec leur maman
le poisson qu'elle leur pêche.
Dans la grotte chantent
les oiseaux à trois ailes.
Des hirondelles s'envolent vers de meilleurs lendemains tandis qu'un
petit hérisson se gratte le nez. Des fils pendent des airs azurés
et vers le roulement du soleil qui traverse le ciel vers de meilleurs
lendemains.
Sur les rives de l'eau s'étendaient de part et d'autre, sans nulle
autre perspective que celle-là, l’alternance de couleurs de terres
et de cultures. Les routes étaient encore loin. Le matin était là
et nul ne sut comment il était arrivé là. Assis au bord de la
rivière, il y laissait s'y déposer des feuilles de frêne et les
regardait voguer. Rien n'avait été aussi calme depuis trop
longtemps.
Juchée sur ses pensées
Elle s'évade et dévale
Des souvenirs dérobés
Escaladant les cimes
Des oublis dévorant
Le cœur de la raison
Elle remonte et
s'arrime
A la proue d'une idée
Un fragment de sensé
Qui danse dans l'abîme.
Lunaire elle se pose un
instant dans les airs
Puis repart s'amuser,
voir dans les autres sphères
Ses jambes allégées,
les fourmis envolées
Ne lui amènent plus
que caresses éthérées.
Sur un fil tu te
balances, léger tu te lances et aérien tu peux t'envoler à ta
guise tandis que passent les nuages, les oiseaux, les merles
chanteurs. Tout cela ne t'importe tu t'évades et les airs sont pour
toi une portée à ta voie.
Lumineux les ports
t'éclairent et si tu te poses c'est pour entendre ces voix enjouées,
ces hommes affairés. Puis quittant d'un pied la terre ferme, tu
cours, tu prends élan et enfin tu repars. Les jours ne sont plus
pour toi des heures qui passent. Bien plutôt des balles multicolores
sur lesquelles tu rebondis. Acéré, aéré, les idées t'ont forgé,
la routine t'es étrangère. Les montagnes te semblent des vallées
ridicules, les abîmes te sont des puits. Tu n'as pas connu de
faiblesse ni de faim ni d'ennui Au loin des paysages lumineux t'ont
porté. Ni le jour ni l'oubli n'ont freiné ton chemin. Douce est la
nuit quand tes yeux elle traverse. Les lunes et les astres viennent
pour te bercer. Tout, tout n'est qu'insouciance et mystère.
Amerrie dans une île
que je n'connaissais pas,
J’avais pour seule
idée de compter tous mes pas
Quand je fus arrivé au
cent dix millième
Il me sembla qu'enfin
alors j'étais moi-même.
Facile
Elle ondule
Par-ci par-là
La tête lui tourne
Et elle nage
Entre les eaux
Souveraine et sereine
Sans se soucier
Sans s'agiter.
Hélices aériennes
Vous êtes immobiles
Par-delà le silence
Vous voyagez agiles.
Vous étiez insensé en
ce lieu
Dans l'aube grise née
des cieux
Un éclat, une voix, un
rire
Jeté par-dessus le
navire
Tout alors m'a ravi de
vous
Et tombée que je suis
à genoux
J'explorais ma cervelle
avide
Inapte à dépasser le
vide.
Sans doute nous aurions
gagné à ne pas nous plaindre mais la vie est ainsi faite que notre
sort nous est sans cesse rappelé.
Sans cesse ramenés sur
le bord de la rive. Il n'y a que la dérive pour nous en éloigner.
Un matin comme ça elle
avait oublié de s'endormir et elle avait vu le jour se lever, et
elle avait trouvé ça beau.
Attendant que
s'écroulent autour de moi les foules passives j'oscille dans la
masse sans laisser de trace. Je navigue d'un pays à l'autre.
De tes yeux sont
tombées des pierres incendiaires
Qui roulent jusqu'à
moi, brasiers éphémères
Et toujours reviennent,
fulgurants phénomènes
Dansant tels des lames
D'un océan sans fond
Qui tapissent et défont
De l'écume son âme.
Quand nous marchions
parmi les fleurs épicées aux senteurs exquises, esquissées dans
les branches du ciel, quand l'air doux du couchant me caressait le
nez, alors c'était ce soir-là que je te regardais.
Toi : tu
m'apparus, tu m'apparaissais, chaque jour comme tu m'apparus. Chaque
jour ébahie je me laissais rêver, j'oubliais mon cerveau et mes os
un peu flasques et je me démangeais de te jeter un œil. Et
lorsqu'il t'arrivait, toi déjà tu filais. Alors mon œil perdu se
rattrapait à peine et il me fallait toute la peine de mes dix doigts
pour le remettre en place.
Aujourd'hui encore si
vous le regardez, n'y faites pas attention. Un strabisme vers toi
m'en est resté depuis. Mon œil encore perdu ne sait plus où aller.
Des rues entières
passaient devant nous à grand galop et nous marchions lascivement en
s'embrassant parmi les populations alanguies. J'allumais mon oreille
à ton murmure étourdi et tu me fredonnais des choses inouïes
- Est-ce qu'il ?…
- Non, jamais.
- Ah, bon…
J'ai klaxonné du pied afin que tu m’entendes.
Poussant au loin ma voix, j'aboyais après toi, semant partout mon
ennui de toi.
Les gens alors
ouvraient leurs fenêtres pour me crier des insanités qui me
blessèrent plus encore que tes coups de silence. Alors je jetais à
leurs carreaux des reflets de toi qui rebondirent, légers, et me
revinrent en pleine tête. Assommée par ce tissu d'atrocités je
m'enfouissais sous un arrêt de bus et les fesses des gens assis me
réchauffèrent quelque peu. Régénérée, je repartis planter mes
dents un peu plus loin.
Les fourmis aboient
Les chats sautillent
Dans le silence de la
nuit
Je n'entends que ton
regard.
Tu m'exploses les
tempes et le crâne tant que j'en crève
Tes yeux me dévorent
la tête tant qu'elle se fissure.
Remontée par les prairies fraîches
de l'été je m'étais arrêtée où l'eau ne coule plus et patiente
j'attendis que la soif me tenaille pour m'en revenir.
Irritée par
l'insolation soliloque du temps qui passe, je me tirais à quatre
pattes.
La tête explosée par
une rafale de volcans, je me réfugiais dans une caverne vide où
j'explorais mes peines et mes vides.
Un chimpanzé suspendu
à un fil de fer s'ébattait dans le ciel ocre. Des idéogrammes de
toutes sortes emplissaient mon champ de vision, sans qu'il me soit
possible de les rattacher à quoi que ce soit. De ci de là des
petites femmes multicolores sautillaient en poussant des cris
perçant. Plus loin, des êtres difformes s'entrechoquaient. Une
femme cracha un ruisseau noirâtre qui s'écoula jusqu'à moi.
Autour de moi, s'était
formée une ronde qui se rapprochait jusqu'à m'étrangler.
Le souffle dans ma
poitrine gicla dans un bruit de cors… Lorsque je m'éveillais, les
cochons d'Inde rentrèrent dans leur nid. La flaque de mon visage se
recomposa en un cristal homogène.
Nous sommes nagés à
travers les fumées opaques de l'apathie. Et quand enfin nous sommes
arrivés, la rive était trop haute pour pouvoir en atteindre le
bord. Alors nous sommes nagés à reculons en attendant le matin.
Naviguant à travers des nimbes d'eau, je m'enivrais de
sirop à l'eau, en attendant que sonnent les grelots.
La moustache du prêtre
Le prêtre avait une moustache dont il se servait parfois comme d'une clé à molette
Le prêtre avait une moustache dont il se servait parfois comme d'une clé à molette
Avidement elle extirpe
de son crâne les pensées qui s'engluent.
Un index glissé entre
la paupière et l'iris, elle ausculte son œil et palpe son regard.
Puis, doigtant son orifice oculaire, elle en extrait le globe qu'elle
fait glisser sur sa paume lisse.
Les feux de la nuit me
guident vers des rues inconnues. M'engouffrant dans l'une d'elles je
heurte un pavé et trébuche. Sur la froideur du sol, je colle ma
joue et sourie. Accrochant ma main au mur râpeux que ne me tend
aucune prise, je me relève, laissant sur ma paume des stries rouges.
Agacée par tant de
froideur, je me blottis sur le capot d'une automobile qui m'accueille
tendrement.
Je trouvais dans tes
yeux un refuge passablement agréable. Me laissant aspirer par le
centre de l'iris, je batifolais distraitement à l'ombre de tes
paupières. Ou encore dans une course folle autour du globe oculaire
je laissais un éclat exploser de rire avec fracas et retomber en
gouttelettes sur les cils délicats.
Je retourne sur des
traces disparues où je m'évadais lorsque mes pas se dissolvaient
loin de mes rêves. J'y replonge à présent et sous mes pieds le sol
se fait lourd et sec. Prenant soin de n'en décoller une parcelle,
j'avance précautionneusement. Je cherche la rambarde mais elle a
disparu depuis longtemps maintenant, alors je m’efforce de
maintenir l'équilibre vital qui me porte.
J'exorbitais mes yeux
pour les nettoyer de ce poison puis les remis dans ma tête.
Un effet de pâleur
m'anéantit tout à coup et je me trouve presque dépourvue, à la
limite de l’abattement fatal.
Les voies défilent
face à moi et mes yeux se perdent dans le lointain.
J'aboie à perdre
haleine dans le hall de la gare afin de me faire entendre mais le
flot qui navigue d'un quai à l'autre m'empêche de m'entendre. Je me
perds alors et ma voix reste sur le quai désorientée.
Détournant du regard des yeux trop lourds à porter je
m'évanouis lascivement avec mes larmes comme support.
Ne reconnaissant pas
tes yeux je détourne les miens, les oublie un peu, les délaissant
au loin ou au bas de mes chaussures. Mais soudain ta vue m'aveugle et
me crève la pupille qui jaillit.
Comme la mer était
claire et le vent apaisé
Je me suis allongée au
sol et me suis née.
Déjà les vents commençaient à se lever, rageurs et
les herbes vibraient avec volupté, heureuses d'être caressées
ainsi de toutes parts et enlacées par l’air.
Silence maintenant.
Dans le vide lunaire les bruits se taisent peu à peu et le cosmos
bruie. Les astres se déplacent en s'enlaçant.
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