David B. (j’ai été bénévole auprès de demandeurs d’asile 3 ans en
France)
David B. arrive de Géorgie. Il a quitté son pays et est
venu en France demander l'asile. Il se tient avec Soslan, Vanda et un autre
monsieur dont j'ai oublié le nom. Il serait l'oncle de Soslan. Je dis
"serait", car, comme la plupart des demandeurs d'asile que je
rencontre à Alter-Egaux, je ne suis jamais sûre qu'ils disent la vérité.
Difficile empathie, confiance, à l'égard de gens qui ne parlent pas ma langue,
ne sont pas de mon pays. L'altérité. Les étranges comme on dit au Québec.
Aujourd'hui c'est moi l'étrange.
Pourtant, pourquoi viendraient-ils ici? Pour manger le pain
des Français? Je peux vous dire pourtant que pendant les années où j'ai cotoyé
David, il n'a eu qu'une vie entre parenthèses, une sous-vie. Je peux te dire que,
quelque soit le récit que me faisaient ces gens, parfois peut-être ajustés dans
le but de plaire à l'OFPRA (office français de protection des réfugiés et
apatrides), de rentrer dans les cases (réfugié politique est plus légitime que
réfugié économique), il y avait des visages qui en disaient long, d'une extrême
gravité ou d'une extrême lassitude. Il y avait ce monsieur algérien qui par
trois fois, envoya une enveloppe vide à l'OFPRA, peut-être trop de choses dans
la tête pour réussir à envoyer ce maudit dossier...
David venait d'arriver de Géorgie. Lui et sa famille m'ont
fait le récit que j'ai écrit pour l'OFPRA, grâce à Soslan, jeune homme de
seize-dix-huit ans qui faisait office d'interprète pour sa famille. Même si la
télévision parlait des événements en Géorgie, leur récit n'était pas assez
convaincant, faut-il croire, ou leur profil pas assez séduisant, surtout celui
de David, homme fatigué, maigrichon dans la cinquantaine, non francophone de
surcroît. À leurs débuts, ils nous ont invités à manger, moi et Ameth, un soir.
Modeste souper qui devait représenter beaucoup pour eux, accompagné de vodka
comme au pays. Ameth et moi mangions du bout des lèvres, comme si on nous avait
offert des doubitchous dans Le Père Noël est une ordure.
Aujourd'hui c'est moi l'étrange mais la moins étrange des
étranges au Québec... La maudite française peut-être mais sans plus, je
bénéficie de préjugés favorables parce que je parle français, que je suis
blanche et non musulmane...
Quelques mois plus tard, Soslan faisait des affaires sur la
place de la République, des affaires louches, certes, mais qu'aurait-il pu
faire d'autre? Les demandeurs d'asile n'avaient (en tous cas à l'époque) pas le
droit de travailler. Juste le droit de toucher les aides, assez maigres, qui
malgré tout pouvaient servir pour aider la famille là-bas. Et, aberration, les
demandeurs d'asile allaient chercher leur aide à l'Assedic, là où les chômeurs
allaient chercher leurs prestations. Les "bons français" voyaient alors
de longues files d'immigrants et s'imaginaient peut-être (ou peut-être pas
d'ailleurs...) qu'ils venaient en France juste pour toucher les aides, sans
savoir qu'ils n'avaient pas le droit de travailler.
Quelques années après, j'ai revu David. Il me dit qu'il
sortait de prison. Je n'ai pas voulu savoir pourquoi et de toutes façons son
français était encore limité. On est simplement allés prendre un café.
Solitude
Dans
un article du journal du café, Jean parlait de la solitude « subie »
et de la « solitude « choisie ». J’aime la solitude choisie,
quand les enfants sont chez leur père une fin de semaine et que je choisis de
rester chez moi tranquillou avec un bon bouquin.
Mais
la solitude subie est souvent présente. En France, ma famille (oncles et tantes,
enfants, petits-enfants) compte une cinquantaine de personnes, très unies, et
bien que j’ai 3 merveilleux enfants, ma grande famille me manque souvent.
Ici,
ça prend du temps. Après 9 ans, j’ai un bon réseau mais je parle volontiers de
ce sujet, la solitude, parce que je sais que ça touche d’autres gens que moi,
que ça en tue certains. J’aurais pu y passer moi aussi. Mais j’ai trouvé la
force, des gens qui m’ont tendu la main, la volonté de voir des intervenants au
bon moment. Mais autant que d’intervenants, on a tous besoin d’entourage. C’est
ce qu’on trouve au café l’Accès.
Étant
timide de nature, je ne suis pas très bonne pour socialiser, ni pour demander
de l’aide. Mais le fait d’être immigrante a forgé mon caractère, m’a donné
envie d’aller vers les autres. J’ai en ce moment une équipe de travail
merveilleuse, les gens du café, qui sont définitivement une grande famille,
quelques amis, le Collectif des femmes immigrantes, mon équipe des Caf’arts… Et
j’arrive de plus en plus à transformer la solitude subie en solitude choisie,
ou à être capable d’aller vers les autres quand j’ai envie d’être entourée.
D’être là pour les gens qui en ont besoin. Parce que quand quelqu’un va mal, il
a pas toujours envie que tu le renvoies vers un intervenant, il a aussi besoin
de vrais rapports humains. C’est ce que je trouve au café l’Accès.